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L’incroyable histoire de deux otages d’al-Qaida qui se sont détestés

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Peter Theo Curtis, dont le nom de plum était Theo Padnos. (Photo: Charles Krupa/AP Photo)

Peter Theo Curtis, dont le nom de plum était Theo Padnos. (Photo: Charles Krupa/AP Photo)

FouineurC’est une histoire d’otages pas comme les autres que celle de Theo Padnos et Matthew Schrier, deux Américains placés sept mois (de janvier à juillet 2013) ensemble dans une cellule par le Front Al-Nosra, la branche syrienne d’al-Qaida. Aussi incroyable que vraie, leur cohabitation tumultueuse a été relatée par l’hebdomadaire allemand Die Zeit et traduite par Courrier international sous le titre «Paroles d’otages: l’enfer, c’est l’autre». Un titre particulièrement bien choisi puisqu’il emprunte à la fameuse phrase de Jean-Paul Sartre dans Huis clos – une pièce de circonstance.

Dès leur première rencontre, le lecteur s’aperçoit du fossé qui oppose Padnos, un journaliste capturé alors qu’il tentait de passer en Syrie pour suivre la trace de son confrère Austin Tice, de Schrier, photoreporter intercepté alors qu’il essayait de retourner en Turquie après plusieurs jours sur le front, à Alep. Au détour d’une simple anecdote partagée, un schisme s’est automatiquement créé entre les deux otages.

«Matthew Schrier: J’ai essayé de créer un lien avec Theo, de le faire rire. Échec total. Tout le monde dit que je suis un mec marrant. J’ai même réussi à faire rigoler Mohammed, le gars qui torturait Theo. J’ai raconté une histoire du [secondaire] à Theo: moi et mon meilleur ami, on avait planqué le cahier de notes du prof. Le mec était fou de rage et s’était mis à nous traiter de connards. Tout le monde se marrait et le prof était tellement énervé qu’il s’était explosé une queue de billard sur la tête. Et là, Theo me dit qu’il a de la peine pour le prof. “Mais crétin, c’est le prof le connard, tu comprends pas?”»

Un conflit de personnalité a point à l’horizon. Et il n’a pas fallu longtemps avant que nos deux protagonistes s’en aperçoivent.

«Matthew Schrier: Theo et moi, on avait rien en commun. Un jour, j’ai voulu jouer au jeu des citations de films avec lui. “Say hello to my little friend.” C’est dans Scarface, n’importe quel Américain sait ça. Pas Theo. “Mais qu’est-ce que tu glandais quand t’étais gamin? — On n’avait pas la télévision — Tu faisais quoi alors? — Je lisais.” Mec, c’est avec ce connard que j’ai été bloqué vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mon exact opposé.»

Il est vrai que tout les oppose. Padnos est un «gosse de riche», doctorant en littérature comparée, qui s’exprime d’une voix douce. Schrier, lui, a grandi dans la rue, dans un quartier chaud de New York – il est même passé par la case prison dans sa jeunesse –, et ponctue chaque phrase d’un geste de rappeur.

Leur conflit va tuer dans l’œuf tout sentiment de solidarité que deux otages en posture plus que délicate auraient pu éprouver l’un pour l’autre. La relation va ainsi rapidement se dégrader, et des disputes vont éclater, amplifiées par leur état de tension extrême.

«Theo Padnos: Nous n’avons pas tardé à nous disputer. Un jour, pendant que Matt dormait, je me suis curé les dents comme font les Arabes, avec des graines de tournesol [en émettant sans doute des bruits de bouche]. Je ne faisais vraiment pas beaucoup de bruit. Honnêtement, dehors nous entendions des bombes tomber et des militants crier dans le couloir, mais c’est ce bruit-là que Matt n’a pas supporté.

Matthew Schrier: Deux fois je lui ai gentiment demandé d’arrêter. La troisième fois, je l’ai menacé avec le poing en lui balançant que ça risquait d’être plus compliqué pour lui de se nettoyer les dents s’il en avait plus.»

Les incidents entre les deux hommes se multipliant, Schrier est passé de la parole aux actes. «Pour ce qui concerne ma violence contre Theo: à chaque fois, c’est lui qui m’avait provoqué», s’est-il contenté d’expliquer.

«Theo Padnos: Il lui est même arrivé de me frapper. Un rien pouvait le faire exploser. Les poux par exemple. Il avait une manière bien à lui de s’en débarrasser.

Matthew Schrier: J’enlevais l’étiquette d’une bouteille, je la pliais, je posais les poux dessus et je les écrasais. C’était propre. Theo les écrasait par terre avec ses doigts. Après il marchait dedans et étalait cette saloperie partout. Je lui ai dit deux fois, trois fois. Puis j’ai fini par le cogner.»

L’attitude de Schrier fait écho à des situations que l’on relève dans les établissements pénitenciers, où «certains individus infligent à d’autres les humiliations qu’ils subissent eux-mêmes» afin de «se sentir plus forts», a expliqué à Die Zeit Mechthild Wenk-Ansohn, du Centre berlinois pour les victimes de la torture. Cependant, a-t-elle poursuivi, «dans des situations extrêmes comme celle-ci, les prisonniers ont tendance à se soutenir, au-delà de leurs différends idéologiques. Les Kurdes aident les Turcs, les sunnites aident les chiites.»

Mais, dans le cas de ces deux otages américains, Schrier n’a jamais semblé pouvoir passer outre leurs différences, comme semble l’indiquer cette phrase : «Tous les autres otages, Austin Tice, James Foley, John Cantlie, c’était des durs à cuire. Je me serais bien entendu avec eux. Il a fallu que je me retrouve avec cette carpette de Theo.»

En juillet 2013, après six mois d’une cohabitation chaotique, ils ont été transférés dans une autre prison. «Il y avait deux fenêtres cassées juste en dessous du plafond, à environ deux mètres de hauteur. Elles étaient grillagées mais le mur était friable et la grille bougeait légèrement», selon les souvenirs de Schrier. Est né alors l’espoir d’une évasion. Le 29 juillet, peu après le lever du soleil, Schrier est parvenu à démonter le grillage de la fenêtre. Tant bien que mal, il s’est hissé en dehors de la cellule, avec l’aide de son partenaire. Puis, est venu le tour de Padnos. À ce moment-là, et pour la première fois, prévient l’hebdomadaire Die Zeit, le récit des deux hommes a divergé «notablement» sur une question essentielle: Schrier a-t-il fait tout ce qu’il pouvait pour aider Padnos?

Le premier dit avoir tout essayé, pendant «peut-être trois, quatre minutes en tout». Mais Padnos était coincé dans le cadre de la fenêtre, et il ne parvenait pas à s’en extirper. «Au bout d’un moment, je lui ai dit que j’allais chercher de l’aide. Il a dit “OK”. Sans ça, jamais je serais parti», a confié Schrier. Mais le son de cloche a paru bien différent dans la bouche de Padnos. Selon lui, tout s’est déroulé en moins d’une minute et Schrier n’a pas fait les efforts nécessaires pour essayer de le déloger de la fenêtre, ne serait-ce qu’en prenant appui avec ses pieds sur le mur.

Après s’être échappé, Schrier est parvenu à rejoindre l’Armée syrienne libre, qui l’a ensuite reconduit à la frontière. Arrivé en Turquie, il a appelé l’ambassade américaine et le FBI est venu le chercher. «Quelques jours plus tard, j’étais à New York», a-t-il raconté.

Pour Padnos, le départ de son colocataire de fortune a été synonyme de soulagement. Mais les détails de l’évasion, que Schrier a partagés dans la presse américaine, ont vite fait de mettre Padnos dans une situation très inconfortable vis-à-vis de ses geôliers.

«Theo Padnos: Le lendemain de l’évasion de Matt, ils m’ont demandé de leur montrer ce qui s’était passé. Je leur ai dit : “Matt était là et a grimpé dehors. J’ai tapé à la porte, mais vous n’êtes pas venus.” Je n’ai pas eu à manger pendant plusieurs jours, et puis tout est redevenu comme avant. C’était un énorme soulagement de ne plus être avec Matt. J’étais enfin au calme et je me disais qu’Obama enverrait peut-être la CIA pour me libérer. Je partais du principe que Matt avait dû leur dire où je me trouvais. Deux semaines plus tard, j’ai découvert que Matt avait eu une bonne discussion avec un journaliste du New York Times qui n’avait rien trouvé de mieux que d’écrire que “Theo avait aidé Matt à s’échapper”. L’information est aussi passée sur CNN et les terroristes sont tombés dessus. Ils ont ainsi découvert que je leur avais menti. Ils m’ont conduit dans le désert, dans les environs de Deir Ez-Zor [dans le nord-est de la Syrie], et m’ont enfermé dans une minuscule pièce. Il faisait une chaleur insupportable, le mois d’août en plein désert syrien. J’y suis resté six semaines.»

Padnos finira par obtenir le statut de «prisonnier respectable» grâce à son comportement irréprochable. En août 2014, 22 mois après sa capture, il a été libéré après l’intervention des autorités qataries. Malgré plusieurs tentatives de Schrier pour le contacter, Padnos se refuse à lui parler. «Je ne suis pas en colère contre les terroristes. Si vous savez ce que les Américains ont fait en Irak, vous pouvez en partie les comprendre. Mais Matthew Schrier, je ne veux le revoir sous aucun prétexte. J’ai été prisonnier d’al-Qaida pendant vingt-deux mois, les sept mois passés avec lui ont été de loin les pires.»

Pour en savoir bien plus encore, consultez le récit fleuve de l’histoire de Theo Padnos et Matthew Schrier à travers leurs témoignages.

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